Wild Ride To East avec Blacksheep Van

Wild Ride to East
 


Depuis plusieurs mois, Myriam et moi parlions de partir en vacances ensemble. Où ? Quand ? Comment ? Telle était la question étant donné que nous ne roulions pas sur l’or.
Notre choix se porta sur les pays de l’Est européens, où la vie est moins chère et où il fait bon vivre. Nous devions pour cela trouver un moyen de transport et deux autres acolytes avec lesquels répartir les frais.
Quelques semaines plus tard, Myriam m’annonce qu’elle a rencontré le compagnon de voyage idéal ; un certain Valentin Duciel, photographe. Coïncidence que Myriam ignore, j’ai moi aussi rencontré ce Valentin, quatre mois plus tôt dans le sud de la France et l’avoir à nos côtés me semble en effet être une bonne idée. Va pour Val.
Avec Val nous commençons à prospecter auprès des différentes compagnies de location de véhicules afin de leur proposer un partenariat avec nous. « Backsheep Van » accepte notre proposition et nous convenons d’une collaboration avec la compagnie. En parallèle, nous intégrons à l’équipe Lana, une amie de Francfort. La bande maintenant au complet, nous nous donnons rendez-vous en Octobre à Lyon où habitent Myriam et Val.

Mon train arrive à la gare Part-Dieu sous un déluge de pluie et c’est trempé jusqu’à l’os que j’arrive chez Val. Nos retrouvailles se passent dans une ambiance plus chaleureuse, où se mêlent tasses de café et verres de whisky pour accompagner nos préparatifs.
Le lendemain matin nous retrouvons Lana pour partir ensuite récupérer le van et régler les dernières formalités. Nous nous garons en bas de l’appartement afin d’y ranger les bagages. Une fois le véhicule chargé jusqu’à la gueule, nous prenons le temps de discuter autours de quelques verres pour apprendre à mieux nous connaitre (sans nous charger jusqu’à la gueule cela va de soi).
Je réalise rapidement que ni Myriam, ni Val ne parlent l’anglais. Je vais donc jouer les interprètes entre notre amie allemande et eux pour les quinze prochain jours… Wunderbar.

C’est animés par une sensation de joie, d’aventure et de liberté que nous chauffons l’asphalte.
Les Rolling Stones à fond, nous grimpons le flanc des Alpes en direction de l’Italie. Les paysages enneigés sont si majestueux, à tel point que nous nous arrêtons tous les deux kilomètres pour admirer et profiter de cette noblesse. Conscients de la feuille de route à tenir, nous repartons pour atteindre la frontière italienne.
Deux heures plus tard, nous arrivons à Biella, une petite ville au pied des Alpes italiennes où un photographe nous a donné rendez-vous via Instagram.
La communication s’avère difficile, et pour cause ! Celui-ci parle aussi bien anglais que nous parlons italien, et ce n’est pas l’allemand qui viendra nous sauver. Il nous fait tout de même visiter sa charmante petite bourgade, tendant de nous expliquer des choses que nous ne comprendrons malheureusement jamais. La route nous attend. Ciao bello !
Nous organisons notre première nuit en pleine montagne. Le fourgon est très bien équipé et chaque recoin est optimisé de sorte à cacher soigneusement les équipements nécessaires. Les lits se préparent en un clin d’œil pendant que la nourriture chauffe. Myriam joue de la guitare et ses mélodies accompagnent notre apéro.

Au petit matin nous avons rendez-vous avec des amis à Trento. Or, Myriam n’est pas vraiment du matin. Musique, cris, secousses, couverture volée, chatouilles, rien n’y fait. Elle dort comme une tombe. Une fois réveillée, second problème : Myriam insiste pour déjeuner au calme, faire ensuite la vaisselle, ranger et nettoyer le camion. Après avoir capitulé, nous sommes prêts à partir. Nous avions rendez-vous à 9h et il est midi.
« Porcooooooooo !!! » C’est le surnom dont m’ont affublé mes amis de Trento. Pourquoi ? Et pourquoi pas ? Même pas le temps de dire bonjour qu’une bière nous attend, et manifestement ils n’en sont pas à leur première. Trento est une petite ville italienne tout ce qu’il y a de plus banal, mais il faut savoir que les villes banales en Italie sont les plus belles des pays alentours. La journée est douce et se termine sur les hauteurs du lac de Garde où nous créons de nouveaux souvenirs autour d’un feu de camp, avec comme seul témoin le ciel rose. Les amis s’en vont. Nous restons encore quelques instants. S’en suit une douche froide au bord de la route. La nuit s’annonce calme.

Aujourd’hui c’est mon anniversaire et nous sommes à Venise. J’adore cette ville, c’est d’ailleurs la quatrième fois que je viens dans la cité des Doges. Les autres quant à eux n’y sont jamais venus. Notre premier réflexe est donc de nous procurer un plan. Idée brillante qui s’avérera fort utile, puisque nous nous retrouvons perdus dix minutes plus tard.
Nous errons dans les rues chargées d’histoires, foulées par des personnalités telles que Casanova, Marco Polo et j'en passe. Les pigeons inondent les rues et les bières coulent à flot dans nos estomacs tandis que nous allons à la rencontre de deux vénitiens.
Val et moi avions été contactés par ces derniers afin de discuter photo. « Discuter » est un bien grand mot puisqu’ils auront passé un peu plus d’une heure avec nous sans émettre le moindre son. Timidité ? Barrière de la langue ? Mutisme ? Ces questions resteront hélas sans réponses, silence oblige.
La nuit tombe et je marche aux côtés de Lana, franchissant d’innombrables ponts sous lesquels naviguent nonchalamment les gondolent. Où sont donc passés Myriam et Valentin ? Nos acolytes ont disparu depuis bientôt une heure. Soudain, ils réapparaissent coin d’une rue, accompagnés d’un minuscule gâteau décoré d’une bougie, chantant « Joyeux Anniversaire » à tue-tête dans un français que Lana peine à suivre. Les pigeons n’inondent plus les rues, les gondoles sont rentrées à l’instar des vénitiens. Il ne reste que nous et notre ivresse, chantant et dansant dans la pénombre d’une Venise humide.

Le lendemain, nous atteignons rapidement la frontière Slovène. Je me suis déjà rendu dans ce pays par le passé et notamment à Piran, c’est une ville méditerranéenne magnifique. Malheureusement le temps nous manque et nous sautons la case « visite » pour rejoindre la frontière croate. Les douaniers ne sont pas réputés pour déborder d’amabilité envers leurs prochains étrangers. A la surprise générale nous passons pourtant sans encombre.
Nous roulons toute la journée et traversons des petits villages dont les stigmates de la guerre restent palpables. Les murs criblés d’impact de balles sont fouettés par la pluie qui s’est invitée au voyage. Elle s’abat sur le van et nous réveille tous, à l’exception de Myriam évidemment. Nous nous préparons, Myriam dort. Nous déjeunons, Myriam dort. Nous sommes prêts à partir, Myriam se réveille. Nous sommes encore prêts à partir, Myriam se prépare. Nous sommes toujours prêts à partir, Myriam déjeune. Après trois faux départs, nous partons visiter les lacs de Plitvice.
Plitvice est composé de seize grands lacs reliés les uns aux autres par des cascades. Un endroit féerique à ne surtout pas visiter sous la pluie. Il pleut.
C’est donc sous un ciel gris que nous empruntons les chemins en rondins de bois extrêmement glissants pour traverser le parc. Déçus et trempés nous retournons au camion.
Nous nous arrêtons dans un restaurant en bord de route pour remplir nos estomacs. A l’intérieur, nous découvrons une immense salle vide, enfin à quelques dizaines d’animaux empaillés près. Nous demandons des plats typiques et nous sommes servis : Viande panée, ragoût de dinde, pomme de terre, carottes, etc.
Le soleil se couche emportant les dernières gouttes de pluie. Nous sommes à la recherche d’un endroit tranquille où passer la nuit. Les chemins se succèdent et nous arrivons devant plusieurs maisons dont nous devinons les formes à la lueur de la lune. Un chien aboie sans arrêt et un homme se rue vers le van en hurlant des choses en allemand. Lana ouvre la porte et engage la conversation. Le vieil allemand s’adoucit, apparemment plus que ravi qu’une jeune et jolie femme de son pays se soit perdue sur sa propriété. Ses sourcils se défroncent pour laisser place à un large sourire enfantin.
« Allez-vous garer en bas du chemin », dit-il, « Je suis le seul habitant à l’année, les autres maisons sont des résidences de vacances, la dernière appartient même à un défenseur de la Mannschaft, l’équipe de football d’Allemagne. Il n’y a personne, vous serez tranquille ».
La table est installée, le repas est prêt et les étoiles nous observent diner dans la nuit silencieuse.

Le soleil se lève et nous brûle déjà, laissant entrevoir une belle journée. L’accès au lac est bloqué par les maisons mais comme l’a fait remarquer der Herr la veille, il n’y a personne en ce moment. Tenant compte de cette information nous passons par-dessus le mur qui mène à la terrasse de la dernière propriété. Nous nous déshabillons et nous jetons à l’eau pour le plus grand plaisir des caméras de sécurité qui en garderont un agréable souvenir. Au loin les pêcheurs sur leurs petites barques en bois ne semblent plus prêter d’intérêt aux poissons qui frétillent dans les eaux douces, profitant d’un répit.
Une fois revigorés nous posons le pied à Zadar, sur la côte Adriatique. Nous nous garons près de la Morska vrata et nous promenons dans la vieille ville à travers la place des cinq puits, « la place du peuple », croisant sur notre chemin plusieurs églises et bâtiments de pierres blanches. La promenade se conclut par une escale sur le port, près de l’orgue hydraulique depuis lequel la mer nous joue sa sérénade. A cet instant, nos âmes sont en paix, mais nos estomacs, eux, se révoltent, à l’instar du distributeur de billets qui vient d’avaler ma carte. On se nourrit comme on peut. J’appelle ma banque qui m’informe qu’après avoir constaté plusieurs retraits dans différents pays, ma carte bancaire a été bloquée, croyant à un vol de cette dernière… C’est ainsi que commença ma dette envers mes compagnons de voyage.
Restaurant charmant, retour au camion au bord de la mer. Dans un élan de maladresse que je ne saurais expliquer Lana renverse le dernier contenant d’eau potable restant jusqu’au lendemain. S’improvisant chevaliers servants, Val et moi allons dans le bar le plus proche en demander, il est vingt-trois heures. L’établissement ne paye pas de mine, à l’intérieur deux ou trois habitués sont accoudés au zinc accompagnés d’une chope de bière locale, la Osjecko.

« Bonsoir, avez-vous de l’eau du robinet pour remplir nos bouteilles s’il vous plaît ?
- Non nous ne donnons pas de l’eau du robinet, par contre je peux vous vendre une bouteille d’eau gazeuse.
- Très bien on en prend deux.
- 10€
- 10€ pour deux bouteilles d’eau ????!!!
- Vous n’êtes pas obligé d’en prendre
. » Non en effet mais il est généralement conseillé de s’hydrater.

Allégé de dix euros avec deux bouteilles d’eau gazeuse en travers de la gorge, nous nous dirigeons vers la sortie quand l’un des clients nous interpelle pour nous demander d’où nous venons. France. L’homme se lève, droit comme un « i » et nous fait un salut nazi en criant « Heil Hitler ! » Je croise le regard de Valentin, effaré, nous tournons les talons. De retour au camion, nous expliquons que leur eau contient apparemment des bulles d’or et qu’il faut désormais y faire très attention.
Sur la route, Nous trouvons un endroit où dormir, près d’un lac.

Au réveil nous découvrons sans surprise qu’il pleut averse. Mais la pluie n’a jamais tué personne alors tous à l’eau ! Rien de plus agréable que de se baigner nu sous une pluie battante, croyez-moi. Notre prochain arrêt est Dubrovnik. C’est donc en sous marin que nous arrivons à bon port. L’objectif est de trouver une place de parking gratuite et assez proche de la vieille ville, pour ne pas trop marcher bien sûr mais surtout pour ne pas être trempés, mais cela relève de l'impossible. Nous trouvons un endroit acceptable mais une personne nous interpelle immédiatement car nous n’avons pas le droit de stationner ici. Pourquoi ? Peu importe. Mais elle a un conseil pour nous : Nous rendre sur le parking d’un supermarché en bas de la route et ne surtout pas se garer sur le parking prévu au risque de passer pour des touristes qui profitent de la gentillesse du magasin. « Garez-vous donc derrière le magasin, là où ils font les livraisons. - Merci ! ».
Une fois sur place nous contournons le magasin et garons le van à l’endroit indiqué. Valentin me dit « Regarde les mecs devant, ils sont louches non ? ». Trois hommes d’à peu près notre âge nous regardent du coin de l’œil en tirant sur leurs cigarettes, mine de rien. On reste dix minutes dans le véhicule, ils restent devant nous à regarder dans notre direction de temps à autre. Ça sent l’embrouille. Peut-être sommes-nous un peu paranos mais nous repartons par précaution. Véhicule garé, parking payé, et nous entrons dans la ville par la Pile Gate. Nous débouchons directement sur la fontaine Onofrijeva et la stradun, l’immense artère centrale. En plein mois d’octobre les rues sont désertes. La pluie doit aussi y être pour quelque chose. Nous faisons toutes les petites ruelles qui montent et descendent, coupant les bâtiments centenaires. La ville a été utilisée pour tourner les scènes de Port-Réal dans Game of Thrones, d’ailleurs nous découvrirons plus tard à l’extérieur des remparts une caravelle amarrée au port pour les besoin de la série. Nous reconnaissons ici et là différents lieux de tournage et pouvons presque entendre au loin la foule crier « Shame, shame, shame. »
Le van est garé loin, les filles sont fatiguées et trempées, nous leur disons de s’abriter dans un bar le temps que nous allions le récupérer notre moyen de transport. A notre retour les filles ont repris du poil de la bête. En effet elles sont attablées avec des croates dans le bar, la soirée va bon train et les coupes de champagnes se multiplient. Les hommes veulent nous offrir une bière, nous déclinons puisque l’on conduit, ils insistent, on craque, puisque nous sommes faibles. « Shame, shame, shame ».
Avec tous les godets mis dans le cornet je me demande si c’est une bonne idée de prendre la route ce soir. Nous voulons nous rapprocher de la frontière pour dormir et elle n’est pas très loin, Val me dit « Je conduis ! T’inquiète il y en a pour un peu plus d’une heure. Par contre on s’ouvre une cannette pour la route ! ». Musique à fond, on rit, il n’y a personne sur les routes. Nous venons de sortir de la ville et continuons sur les hauteurs quand Valentin dit « Putain on s’arrête il faut que je pisse maintenant ! ». Il descend, fait ce qu’il a à faire et en remontant à bord se rend compte qu’il a oublié sa cannette sur le toit depuis notre départ. Elle est toujours là ! Nous rions, il la boit d’une traite et se remet au volant. La bonne humeur ne dure pas longtemps. En sortant du virage suivant nous tombons instantanément sur le poste de douane qui brille dans la nuit. Le poste est désert. Juste trois douaniers qui attendent leurs prochaines victimes, debout en travers de la route, éclairent avec de vives lumières blanches.
« Putain mais tu avais dit une heure trente de route ! ». Il s’avère qu’en mettant le GPS pour se rendre en Bosnie-Herzégovine Valentin avait choisi une toute petite route très peu fréquentée où la frontière se situe à quinze kilomètres de Dubrovnik.

Le son coupé, nous tentons d’être présentables, à base d’air sérieux et de chewing-gum, ils nous font signe de nous arrêter. Merde.
« Passeport » nous dit l’un d’entre eux pendant que les deux autres tournent autour de la voiture en nous fixant. Nous donnons nos papiers. « D’où venez-vous et qu’allez-vous faire en Bosnie ? » Je réponds à la place de Valentin. Le douanier me dévisage « je ne vous ai pas parlé », « oui, mais il ne parle pas anglais », « descendez tous du véhicule ». Ils semblent bien plus intéressés par les filles bizarrement, ils sourient, plaisantent avec elles, l’atmosphère se détend même si nous gardons les dents serrées pour ne pas trop sentir l’alcool. « Sortez vos sacs ». Nous entrons dans leurs locaux. « Ouvrez vos bagages » Nous nous exécutons. Ils plongent leurs mains dans nos sacs et sortent tout ce qu'ils peuvent, espérant trouver de quoi nous incriminer. L’un d’entre eux met sa main dans un des compartiments de mon sac, sort son contenu et me demande ce que c’est. « Mes sous-vêtements sales ». Autour de moi les sourires dessinent les visages, il lâche le tout avec un air de dégoût et nous dit de tout remballer. Tampons sur les passeports, nous sommes libres. Une fois les lumières du poste de contrôle fondue dans le noir nous remettons la musique et ouvrons d’autres cannettes.

Nous avons passé la nuit sur la place du village de Blagaj. Nous sommes réveillés tôt le matin par l’appel à la prière, ce qui ne nous dérange pas, sauf Myriam. Les vêtements enfilés nous nous rendons à la Dervish House, le monastère soufi du village, construit à flanc de falaise, au bord de la source de la rivière Buna.
A l’entrée nous retirons les chaussures et étant dans un pays musulman les filles sont obligées de se voiler. L’intérieur est pittoresque et peu symétrique, rien d’étonnant puisque la bâtisse a été construite il y a 600 ans. En ressortant du monastère des escaliers mènent à la rivière où une petite coupelle, enchaînée au mur, nous permet de prendre une gorgée d’eau provenant de la source. Autour du monastère les terrasses des restaurants sont sous l’eau à cause d’une forte crue les jours précédents. Nous mangeons dans le van et passons l’après-midi aux cascades de Kravica. Le spectacle est hypnotisant, des dizaines de petites cascades chutent les unes à côté des autres dans un lagon d’eau turquoise au centre d'un décor digne des plus grands films d’aventures. Nous n’avons plus envie de repartir.
Le soir, nous retournons à Blagaj pour une seconde nuit. Mais cette fois nous voulons sympathiser avec la population locale. Les rues sont désertes, seul un bar est ouvert, pas le choix. A l’intérieur les lumières sont roses et tamisées, donnant une ambiance très kitch, et le peu de clients nous dévisagent. Quand nous apprenons que le whisky est à deux euros nous en commandons un chacun. A ce moment ils comprennent que nous ne sommes pas du coin et tous s’installent à notre table et nous racontent des blagues, nous apprennent des mots dans leur langue, nous offrent des verres et nous font découvrir la musique locale. A la fermeture du bar un gars de notre âge nous accoste. « Vous voulez fumer un joint ? » Pourquoi pas. Il nous emmène dans une ruelle sombre à deux pas. On fume, on plane.
Nous le questionnons sur ce que nous risquons ici si la police nous prend avec de l’herbe, « Deux ans de prison ». Pas cool. Défoncés nous passons par-dessus le mur du cimetière pour une balade nocturne. Nous nous allongeons dans l’herbe, sous la voute étoilée, entourés de dizaine d’âmes en peine et ne brisons pas le silence auquel nous sommes soumis.

Une nouvelle journée commence et aujourd’hui nous n’allons pas très loin, à Mostar. Mostar est une ville médiévale magnifique mais qui a malheureusement souffert pendant la guerre de 1992-1995. Quand nous entrons dans la ville, nous comprenons que les vestiges de cette dernière sont omniprésents. Les impacts de balles recouvrent les murs, des bâtiments sont en ruines un peu partout mais pourtant la ville a su se redresser. Le vieux centre n’en est pas moins resplendissant, les petites maisons et boutiques typiques de la carsija de Kujundziluk nous plongent directement dans un autre monde. Après avoir pillé les boutiques artisanales nous nous rendons dans un restaurant où l’on nous sert toutes sortes de grillades. C’est un tel festin que nous ne parvenons pas à finir nos assiettes. C’est le ventre plein que nous rejoignons notre logement garé un peu plus loin.
Dans la foulée nous prenons une petite route pour atteindre une immense croix au sommet qui surplombe la ville. Arrivés au sommet nous profitons de la vue sur la vallée, et avec Lana nous descendons dans une prairie à flanc de montagne pour prendre quelques photos. Après une dizaine de minutes à gambader dans les hautes herbes quelqu'un nous hurle dessus au loin. Il s’agit d’un homme accompagné de deux femmes. Nous lui disons que nous ne parlons pas le bosniaque et il répète en anglais, « Vous êtes fous ?! Ces prairies sont remplies de mines anti personnelles ! Revenez ici immédiatement !!! ». Lana et moi nous regardons droit dans les yeux, comprenant instantanément ce qu'il se passe, autrement dit on se chie dessus. Le type au loin hurle « Revenez lentement, espacez-vous de quelques mètres et celui de derrière essaie de marcher dans les pas de celui qui le précède ! Il y a de gros cailloux, si vous pouvez, marchez dessus ! Courage ! ». Courage ?? Mais ferme-la !
Je m'avance en premier, en commençant par sauter de caillou en caillou, assez rapidement ils ne sont plus assez gros pour pouvoir s'en servir comme support. Même si je me dis que j'ai eu une belle vie, ça reste néanmoins con de crever comme ça. Je regarde bien ou je pose chaque pas, je me retourne et indique précisément à Lana où elle doit poser le pied. Quinze minutes plus tard on s'effondre sur la route, on se regarde et on explose de rire. On se sent vivants. Le mec nous dit que cette zone n'a pas encore été déminée depuis la guerre et qu'il y a régulièrement de tragiques accidents... Il est temps de mettre les voiles. Adieu Mostar. C’était de la bombe.

On zone ici et là tout en maintenant notre cap vers l'Ouest. Sur une petite route nous tombons sur un panneau indiquant qu'il est interdit d'aller plus loin ? Ah ouais ? Pourquoi ? Autant y aller! On passe la première et go. Ce qui devait arriver arriva, deux kilomètres après nous sommes stoppés par une grande barrière recouverte de fils barbelés. Quelque chose bouge au loin. C'est une Jeep de l’armée ! On est à l’entrée d'une putain de base militaire ! Sans plus attendre la raison l'emporte sur la connerie et nous faisons demi-tour dans un nuage de fumée. Personne à nos trousses, ils ont dû se dire qu'ils avaient à faire à des p'tits cons. Bien vu. Sur notre chemin nous passons devant une casse de voitures en pleine cambrousse. Devant toutes ces carcasses notre curiosité resurgit. On traverse le cimetière de véhicules jusqu'à une cabane remplie de pièces automobiles dégoulinant d'huile et de cambouis. Je demande à deux mécanos si on peut faire des photos, ils ne comprennent rien. Je leur montre l'appareil, ils me disent ok. La pluie nous surprend de nouveau, ma caméra est gorgée de flotte et m'affiche un message d'erreur. Dépité je remonte dans le van, essayant de comprendre le problème. Je ne comprends pas, l'appareil ne fait plus la mise au point. Je n'ai jamais été à l'aise en manuel donc je me sens limité dans mes compétences, un peu comme si tu avais l'habitude de conduire avec une boite auto et qu'on te met face à une manuelle.

J’ai la sensation de passer à côté de mille photos, certaines sont réussies mais ça reste une minorité. Dépression, pluie, monotonie, je n’apprécie plus rien. Voyager sans appareil photo me donne la sensation de voyager aveugle. Deux jours après le drame nous entrons dans Ljubljana, la capitale slovène, sous la pluie. Lana et Myriam ont pris rendez-vous chez un tatoueur pour graver cette aventure dans leur peau. Nous les attendons dans la van avec Val. Une fois revenues, on repart, la ville ne nous paraît pas intéressante, encore moins sous les flots. Nous entamons la montée des Dolomites en Italie et trouvons un coin tranquille pour s'endormir, entourés d'arbres au couleurs automnales.
Le matin j'entends Myriam et Valentin discuter :

« T'as entendu les bruits de ouf dans les bois cette nuit ?! Dit Myriam.
- Ouais c’était les sangliers.
- Sérieux ?!
- Bah ouais Myriam, les bois en sont remplis ici, ils sont énormes et féroces !
 »
Ce qui est épatant avec Myriam c'est que tu peux lui faire croire n'importe quoi. On lui avouera des heures plus tard que c’était juste moi qui ronflais, probablement un peu fort. J'en sais rien moi, je dormais.

Les Dolomites sont d'une beauté à couper le souffle. Nous sommes émerveillés à chaque virage, devant chaque paysage. Un panneau indique un sentier de randonnée avec un lac en bout de course. La carotte au bout du bâton. Nous ne croquerons jamais cette carotte puisqu'au bout d'une heure de marche il se met à tomber des cordes, encore. On rebrousse chemin. Le lac avait l'air magnifique, sur internet...
Hors de question d'en rester là ! On embraye et fonce sous la pluie vers le lac de Braie, un des plus connu de la région et pour cause ! Il semble tout droit sorti d'un film. On arrive tard le soir, il fait nuit et la pluie coule le long de la carrosserie. Quelqu'un tambourine à la porte de notre camion. Silence. On ouvre et apercevons un vieil homme, baraqué, habillé uniquement d'un short, pieds nus sous la pluie battante. « Je suis dans le camping-car d'à côté, venez boire une bière ! ». Et il repart.
On attend un petit quart d'heure, le temps de peser le pour et le contre. On note la plaque d'immatriculation pour avoir une trace au cas où et on va à notre tour tambouriner à sa porte.
Il nous ouvre avec un grand sourire et nous invite à monter à bord. Il est avec ses deux fils d'une vingtaine d’années, il nous fait faire le tour du propriétaire, son camping-car est tellement moderne que notre van passe pour une charrette du siècle dernier. C'est une famille de danois, le père est pécheurs dans la mer du Nord et a apparemment une deuxième passion, l'alcool. Il nous fait tout essayer, nous passons une superbe soirée et rentrons nous coucher sans même nous apercevoir qu'il pleut encore.

A l'aurore, la gueule en vrac, nous allons doucement mais surement au lac. Une grosse gifle, voilà ce qui nous attend. Il n'y a pas de mot pour décrire ce que nous voyons. C'est simplement merveilleux. On y reste des heures durant. On profite du soleil et de cette première journée sans pluie depuis une semaine maintenant. C'est une belle récompense. Nous retournons au parking, les danois sont partis. On s'installe à bord, on met le contact, rien. La batterie est à plat. Le parking est désert et nous sommes en plein milieu de la montagne, dans un cul de sac. Ce voyage est maudit.
Après une heure d'attente et comme par miracle une voiture de police, les fameux carabiniers italiens, fait son apparition. Je n'ai jamais été aussi heureux de voir la police arriver qu'à ce moment précis. Nous leur faisons de grands signes de détresse avec les bras et ils viennent à notre rencontre.
On leur explique le problème, ce à quoi ils rétorquent qu'il n'y a qu'une seule solution envisageable, pousser le van dans la descente de la montagne (sur la route hein) et essayer de l'allumer avant d'arriver au virage 400 mètres plus bas. Hors de question. C'est comme dire « j'ai le choléra qui en veut ? ».
Un flic se dévoue pour tenter le coup mais choisit Valentin comme victime pour l'accompagner dans la cascade. Val est livide et sincèrement je préfère garder mes couleurs sur le parking. Ils sont au volant et avec l'autre policier on pousse le van sur la route descendante. On observe, on prie et juste avant le virage on entend le van démarrer. On crie tous de joie ! Même le carabinier ! Ils reviennent fiers mais nous avoue avoir paniquer voyant le virage arriver à toute allure. On remercie ces braves hommes et on prend la direction de la Suisse.
Sur notre chemin nous entrons en Autriche, nous ne savons pas comment nous avons fait pour nous retrouver ici, probablement une erreur d’itinéraire. La nuit tombe nous sommes en pleine montagne et une fumée épaisse s’échappe du moteur. Décidément. Il a dû se prendre trop de montées pour aujourd’hui. On se gare sur le bord de la route pour allumer un énorme feu. Dans deux jours nous serons rentrés. Saucisses au bout de bâtons, bouteilles de vin et un miracle. Mon appareil refonctionne ! Comment ? Mystère, mais je m'en fou de savoir comment à vrai dire.

Le jour suivant nous traversons la Suisse et ses magnifiques cols de montagnes, nous profitons de ce magnifique spectacle pour s’arrêter une heure en plein soleil et se foutre à poil. La liberté. Nous ne posons pas non plus des heures car le soir un ami de longue date, lui aussi photographe, Arnaud Ele, avec qui j'ai vécu d'autres aventures, notamment fait un vernissage à Lausanne, et je veux arriver en temps et en heure pour lui faire la surprise. La surprise est totale, il a les larmes aux yeux, accolades, franche camaraderie, nous continuons la soirée chez lui avec une trentaine d'autres personnes et allons passer notre dernière nuit dans notre maison roulante.
En début d’après-midi nous sommes de retour à Lyon pour rendre le van. Le directeur de l'entreprise nous demande si nous avons rencontré des problèmes avec le véhicule, ce à quoi nous répondons en toute sincérité « Nooooon, aucun ». Je retourne à Part Dieu, pour prendre le premier train pour Paris. C'est très déstabilisant de se retrouver seul, au calme. Je m'endors avec le sourire.